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avoir davantage confiance dans les femmes. À vrai dire, les
femmes de son pays lui étaient moins familières que toute autre
espèce. Il avait toutefois tiré de son expérience de nombreuses
races différentes l idée vague que les femmes étaient partout
assez semblables les unes aux autres. Celle-ci était une créature
qu on pouvait aimer. Elle lui faisait l effet d un enfant et éveillait
en lui une sorte d émotion intime dont il n avait pas pensé jus-
qu alors qu elle pût exister toute seule chez un homme, et dont
le caractère désintéressé le surprenait. « Serait-ce que je me fais
vieux ? » se demanda-t-il tout à coup, un soir qu assis sur le
banc contre le mur il regardait droit devant lui, après qu Arlette
eut traversé son champ de vision.
Il se sentait lui-même observé par Catherine qu il avait
surprise à le regarder à la dérobée dans les encoignures ou par
l entrebâillement des portes. De son côté, il la regardait ouver-
tement, sans ignorer l impression qu il lui produisait : un mé-
lange de curiosité et de crainte. Il avait l idée qu elle ne voyait
pas d un mauvais Sil sa présence à la ferme où, il s en rendait
compte, elle était loin d avoir la vie facile. Et cela non pas parce
qu elle avait toute la charge du ménage. C était une femme à peu
près du même âge que lui, droite comme un i, mais dont le vi-
sage était tout ridé. Un soir qu ils étaient assis seuls, dans la cui-
sine, Peyrol lui dit : « Vous avez dû être jolie fille dans votre
temps, Catherine. C est singulier que vous ne vous soyez jamais
mariée. »
Elle se tourna vers lui sous le grand manteau de la chemi-
née, et parut frappée de stupeur, incrédule, interdite, si bien que
Peyrol, un peu vexé, s écria : « Eh bien ! qu y a-t-il ? Si le vieux
bourricot dans la cour s était mis à parler, vous n auriez pas l air
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plus surpris. Vous ne pouvez pas nier que vous avez été jolie
fille. »
Elle se remit de son émotion pour lui dire : « Je suis née ici,
j ai grandi ici, et je me suis résolue tôt dans ma vie à mourir ici.
Drôle d idée à se mettre dans la tête pour une jeune fille,
fit Peyrol.
Ce n est pas un sujet de conversation convenable », reprit
la vieille femme en se baissant pour prendre un pot de terre sur
les braises. « Je ne pensais pas alors », continua-t-elle, le dos
tourné à Peyrol, « que je vivrais bien longtemps. Quand j avais
dix-huit ans, je suis tombée amoureuse d un prêtre.
Ah ! bah ! » s écria Peyrol à mi-voix. « C était alors que
j ai imploré la mort », poursuivit-elle d un ton tranquille. « J ai
passé des nuits à genoux, là-haut, dans la chambre où vous ha-
bitez maintenant. Je fuyais tout le monde. On commençait à
dire que j étais folle. Nous avons toujours été détestés par la ra-
caille des environs. Ces gens ont des langues empoisonnées. On
m avait surnommée : « la fiancée du prêtre ». Oui, j étais jolie,
mais qui donc aurait fait attention à moi, même si je l avais sou-
haité ? Ma seule chance fut d avoir pour frère un homme admi-
rable. Il comprenait. Il ne disait pas un mot, mais quelquefois,
quand nous étions seuls, sans même que sa femme fût présente,
il posait doucement sa main sur mon épaule. Depuis lors, je ne
suis jamais retournée à l église, et je n y retournerai jamais.
Mais je n ai plus rien contre Dieu maintenant. »
Son attitude ne donnait plus aucun signe de méfiance ou
d inquiétude. Elle se tenait droite comme une flèche devant
Peyrol et le regardait avec une expression confiante. Le vieux
forban n était pas encore en état de parler. Il se contenta de ho-
cher la tête à deux reprises et Catherine se détourna pour aller
mettre le pot à rafraîchir sur l évier. « Oui, j ai eu envie de mou-
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rir. Mais je ne suis pas morte et, maintenant, j ai quelque chose
à faire », dit-elle en s asseyant près de l âtre et en se prenant le
menton dans la main. « Et je pense que vous savez ce que
c est », ajouta-t-elle.
Peyrol se leva lentement. « Enfin ! Bonsoir, lui dit-il, je
descends à Madrague. Je veux me remettre au travail sur la tar-
tane dès le petit jour.
Ne me parlez pas de cette tartane ! Elle a emporté mon
frère pour toujours. Je suis restée sur le rivage à regarder ses
voiles diminuer de plus en plus. Ensuite je suis remontée toute
seule à la ferme. »
Remuant avec calme ses lèvres fanées qu aucun amoureux,
qu aucun enfant n avait jamais embrassées, la vieille Catherine
raconta à Peyrol les jours, les nuits d attente, avec le canon loin-
tain qui grondait à ses oreilles. Elle avait passé des heures, as-
sise sur le banc dehors à attendre des nouvelles, à regarder des
lueurs sur le ciel, à écouter l éclatement sourd des coups de ca-
non qui arrivait par-dessus l eau. Et puis, un soir, ç avait été
comme la fin du monde. Le ciel était tout illuminé, la terre
tremblait sur ses fondements et il lui sembla que la maison
chancelait, si bien qu elle se leva en sursaut de son banc et se
mit à crier de terreur. Cette nuit-là, elle ne s était pas couchée
du tout. Le lendemain elle vit la mer couverte de voiles et un
nuage de fumée noire et jaune au-dessus de Toulon. Un homme
qui montait de Madrague lui dit qu il croyait que toute la ville
avait sauté. Elle alla lui chercher une bouteille de vin et il l aida
ce soir-là à donner la pâture aux bêtes. Avant de redescendre
chez lui, il déclara qu il ne pouvait plus rester âme qui vive à
Toulon, parce que les quelques survivants seraient sûrement
partis à bord des navires anglais. Près d une semaine plus tard,
elle somnolait près du feu, lorsqu elle fut réveillée par un bruit
de voix au-dehors et elle aperçut, debout au milieu de la salle,
pâle comme une morte au sortir de la tombe, une couverture
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tachée de sang sur les épaules et un bonnet rouge sur la tête,
une petite fille terrible à voir, dans laquelle elle reconnut sou-
dain sa nièce. Terrifiée, elle se mit à crier : « François, Fran-
çois ! » C était le nom de son frère, et elle le crut dehors. Son cri
effraya l enfant qui s enfuit par la porte. Tout, au-dehors, était
tranquille. Elle cria une fois encore : « François ! », puis, ayant,
en chancelant, gagné la porte, elle vit sa nièce se cramponner à
un inconnu, coiffé d un bonnet rouge, un sabre au côté et qui
hurlait avec agitation : « Vous ne reverrez plus François. Vive la
République ! »
« J ai reconnu le fils Bron63, continua Catherine. Je
connaissais ses parents. Au début des troubles, il était parti de
chez lui pour suivre la Révolution. Je marchai droit vers lui et
j éloignai la fille de son côté. Il n y eut pas à la cajoler beaucoup ;
elle m avait toujours aimée », poursuivit-elle, en se levant de
son tabouret et en se rapprochant un peu de Peyrol. « Elle se
rappelait bien sa tante Catherine. J arrachai l horrible couver-
ture de ses épaules. Ses cheveux étaient collés par le sang, ses
vêtements en étaient tout tachés. Je la menai en haut. Elle était
aussi faible qu un petit enfant. Je la déshabillai et l examinai des
pieds à la tête. Elle n avait aucune blessure. J en étais sûre, mais
de quoi d autre pouvais-je être sûre ? Je n arrivais pas à com-
prendre ce qu elle me marmottait. Sa voix même me boulever-
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